Tout le monde n'a pas l’olympique attitude. Face au matraquage de Paris 2012, quelque irréductibles disent non merci.
« A l’intérieur de la mairie, les JO, cela relève de l'obsession, sans doute parce que Delanoë pense que ce serait un bon tremplin pour la présidentielle. On ne peut pas pousser une porte sans en entendre parler, ni ouvrir un placard sans se prendre des cartes "Paris 2012" sur le nez. »
Cette monomanie rapportée par un élu Vert n'a pas seulement saisi le maire de Paris. « L’olympique attitude », chère à notre ministre des sports Jean-François Lamour, est partout, dam les transports, sur les édifices les plus symboliques de la capitale, et même dans les manifestations.
Le 20 mars les syndicats ont défilé pour les 35 heures, les salaires et l'emploi en arborant drapeaux, pin's et T-shirts proclamant leur « amour des jeux ». Le secrétaire général de la CFDT, François Cherèque, avait même proposé de modifier la date du rassemblement pour ne pas donner une mauvaise image de la ville au Comité international olympique (CIO) en visite ce Jour là. La CFTC, de son coté, a demandé à ses adhérents de préférer la grève à la manifestation de rue, histoire, selon son président Jacques Voisin, de ne prendre aucun risque". Et. vraisemblablement, de ne pas s'aliéner les 87% de Français favorables à la candidature de la
capitale (1).
Au milieu de cette union sacrée, des irréductibles veulent pourtant faire entendre leur voix. Ils disent non à la candidature de Paris. Premier argument, le moins virulent : elle refléterait « ultra-centralisation » française, comme le relève Sylvain Garel conseiller vert à la mairie de Paris, pour qui "Paris n'est pas la ville de France qui a le plus besoin d'infrastructures sportives". L'économiste Bernard Maris : « C'est encore une fois la capitale qui va toucher le jackpot. Mats si les retombées sont aussi formidables qu'on nous ledit, pourquoi ne pas organiser les Jeux à Lyon, Marseille ou Bordeaux ? ».
Sauf que le « jackpot » annoncé est lui-même sujet à caution. Une étude affirme que l'impact direct des Jeux, pendant la période de préparation, serait de 6 milliards d'euros ? Bernard Maris rappelle qu'il faut mettre
en parallèle les 8,5 milliards d'investissements initiaux : « Au final, ça fait peu non ?» Le même document promet 60000 emplois ?
L'Oncle Bernard de Charlie Hebdo balaie d'une pichenette : « Ce seront en grande partie des boulots précaires : vigiles, vendeurs de billets… Tout ça étalé sur sept ans. En considérant l'investissement de 8,5 milliards, ça fait un peu cher l'emploi. » Quand les partisans du oui avancent que le tourisme grimpera en flèche, même scepticisme. A suivre Jean-François Bourg, chercheur au Centre de droit et d'économie du sport, la saison 2012 en cas de JO à Paris ne sera pas aussi prodigieuse qu'imaginé : « En période de grand événement type JO, beaucoup de gens préfèrent remettre leur voyage à plus tard, parce qu'ils savent que la ville sera saturée."
Lors des derniers JO, tous les sites grecs en dehors d'Athènes ont vu baisser leur fréquentation de 25 à 60 %. Pour l'économiste, de toute façon, "d'un point de vue scientifique », les raisons économiques des pro-Jeux
n'ont pas une grande valeur. Les hypothétiques gains sont 'surdimensionnés' parce que l'on oublie que 'les investissements sont publics, et les retombées, privées".
Et à ses yeux le débat de fond se situe là : « Quel est le véritable statut des JO ? Est-ce bien de les socialiser, quand les grands bénéficiaires des retombées, par exemple les télévisions, ne redistribuent
pas ?"
Du coup, pour lui. "la légitimité des JO ne doit pas seulement s'apprécier d'un point de vue économique, mais en fonction de leur utilité sociale ». Il le rappelle : si les objectifs sont tenus et que Paris ne connaît pas une augmentation de impôts due aux Jeux. « cela signifiera que cet argent existe. Alors pourquoi le placer là plutôt que dans des structures sociales fit même, renchérit Charlotte Nenner conseillère verte à la Mairie de Paris, pourquoi attendre les JO pour 'faire les travaux promis'', comme le» logements sociaux qui succéderont au village olympique des Batignolles, la couverture du périphérique ou encore la prolongation
du tramway ?
Sylvain Garel poursuit : « Vous sommes une municipalité de gauche. Notre objectif ne devrait pas être ta candidature de Paris aux JO, mais la lutte contre les inégalités sociales, pour le recul de la pollution et des habitats insalubres."
Autre point de friction : cette "municipalité de gauche" s’affiche en toute occasion aux cotés du "Club des entreprises", mené par Arnaud Lagardère pour soutenir la candidature de la ville. Soit dix-sept grosses entreprises comme Lagardère, donc, mais aussi Accenture, VediorBis, Suez, Bouygues… Pas exactement des bienfaitrices de l'humanité, qui s'offrent à peu de frais, une campagne de communication efficace en soutenant une cause consensuelle.
Moquant la volonté martelée par Bertrand Delanoë d'accueillir des "Jeux éthiques et solidaires", le groupe alternatif et rigolard de "L'Eglise de la très sainte consommation" a récité une "prière" de remerciements aux sponsors, le 12 mars lors d'"alter- JO" tenus devant l'Hôtel de Ville. « Pour des Jeux éthiques, un marchand de canons un escroc de l'eau, un pollueur nucléaire des complices de la France-afrique, des pollueurs notoires. Ô Sponsors, vendeurs de soupe. Merci de renforcer l'idéal sportif !"
A côté des débats sur l'utilisation de l'argent public. les tenants du non s'inquiètent des répercussions de l'organisation des JO sur la ville: six ans de travaux les inquiètent et un élu vert du XVII affirme que dans son
arrondissement, le rue André Suares située au coeur du futur village olympique, pourrait être déclarée plus ou moins morte en cas de Jeux : « Il est question d'envoyer pendant trois semaines l'ensemble de ses
habitants en vacances ».
Il y a aussi les arguments écologiques : "A quoi va servir ta construction d'un dôme a Roland-Garros dans le bois de Boulogne, au détriment d'un des seuls espaces verts parisiens ?, se demande Charlotte Nenner, en chœur avec les riverains et l'ensemble des opposants.
Même les efforts faits pour des Jeux écologiquement viables ne soulèvent pas l'enthousiasme : l'association des Amis de la Terre a été sollicitée pour l'établissement d'une charte de développement durable pour "Paris 2012". Elle a décliné. Son directeur, Patrick Teil, déplore le caractère "non contraignant" de cette charte vis-à-vis des entreprises partenaires, et relève la problématique soulevée par la présence dans "le Club des entreprises" de Suez, "contre lequel nous nous battons en permanence".
De son côté, Sylvain Garel note que si les futures infrastructures en cas de victoires sont "pour le moment", envisagées comme devant répondre aux normes de la Haute qualité environnementale (HQE). Leur construction, "à marche forcée", « devra tenir les délais très serrés. Du coup ces belles déclarations finiront probablement par passer à la trappe."
Les arguments contre Paris 2012 recoupent largement une opposition aux Jeux olympiques, même ailleurs. Si Charlotte Nenner a signé avec Sylvain Garel et Bernard Maris une tribune « Des Jeux à Paris, Non, merci… » (2), la conseillère verte explique qu'elle aurait. aussi bien pu s'appeler "Ni ici. ni ailleurs". Même ambiance chez Valérie et Martin. Simples citoyens affiliés nulle part ils ont créé un site Internet (3) pour lancer un grand
« NOOOOON » téléchargeable en auto-collants. Le « matraquage » dû à la candidature de Paris, cette « propagande soviétique », les a certes "réveillés", mais ce sont bien "ces" Jeux qu'ils contestent. "La compétition à outrance au nom du sport est insupportable, explique Valérie. Elle reflète les valeurs d'une société ou le sport est sponsorisé par Coca et McDo. ». Ils arguent aussi de la corruption au sein du CI0. Cet été, un de ses membres a été pris en flagrant délit de négociations par la BBC.et un autre exclu pour des détournements de fonds.
D'accord avec tout cela, Sylvain Garel met également en avant ''la contradiction fondamentale entre l'écologie politique et la devise des JO » : la première vise à "économiser les ressources de la planète, dépenser moins d'énergie, aller moins loin", quand la seconde exhorte à aller plus vite, plus loin, plus fort". Et cela vaut aussi pour les hommes, selon Albert Jacquard, auteur de Halte aux Jeux (Stock) : « Ce qui me dérange, ce sont les podiums, cette société de palmarès. Et puis voyez ces sportifs de haut niveau : s'entraîner plus de six heures par jour mettre toutes ses forces dans un seul objectif, cela produit des désastres humains."
Mais. alors que le généticien attribue la responsabilité de ces dérives au sport de compétition, et pense en gros que d'autres jeux sont possibles, le sociologue Orléanais Michel Caillât conteste cette vision. Ani- mateur
du Mouvement critique du sport, il diffuse depuis février sur Internet une lettre anti-olympique mensuelle : "Personne n'a jamais lu la charte olympique. C'est pourtant une doctrine qu'il faut analyser et débattre" Et
si personne ne le fait, c'est peut-être à cause de la fonction qu'il attribue aux JO : 'Celle d'un mythe. Les identités collectives ont explosé, alors on essaie de les remplacer par des factices." Du pain et
des Jeux, l'histoire n'est pas nouvelle. ».
Anne Comte
(1) Selon un sondage du journal L’Equipe du 8 mars.
(2) Le Monde du 8 mars.
(3) http://mapage.noos.fr/paris-2012
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